Cet article est destiné à tous les patrons qui ont envie de faire vivre des valeurs humanistes dans leur entreprise. Il est aussi à destination de toutes les personnes qui se questionnent, voire doutent de l’importance de concilier l’intérêt de l’homme et du bien commun avec la performance économique telle que l’exige notre environnement actuel.
Témoignage terrain : Une vision différente d’un patron de PME performante…
«L’entreprise a été créée pour être un outil au service de l’Homme. Le temps passant, c’est devenu l’inverse : l’entreprise est devenue une finalité en soi» : C’est Eric BOEL, dirigeant de LTC (Les Tissages de Charlieu), PME de 70 personnes, près de Roanne, qui s’exprime ainsi.
Eric BOEL n’est pas un philosophe ni un utopiste, c’est un patron d’entreprise réaliste, pragmatique et performant. En effet, son entreprise, LTC est réputée dans son secteur pour sa performance économique au delà de la moyenne : 10 à 15 % de croissance sur les 2 dernières années, 2,2 millions de mètres de tissus par an, 80 métiers à tisser qui tournent 7 jours sur 7 et un absentéisme proche de 0.
Plusieurs facteurs vont bien-sûr expliquer cette réussite : des choix stratégiques, des choix d’investissements, de la réactivité et de l’innovation.
Mais derrière tout cela, il y a, avant tout, la vision entrepreneuriale d’un homme : « L’entreprise existe pour être au service de l’Homme et pour lui rendre la vie plus facile » dit il. Il y a aussi une quête de sens permanente : « Comment faire en tant que dirigeant pour que LTC rende service à la communauté ? »
Eric BOEL avait besoin de donner à son action un sens autre que le simple fait de produire du tissu. Pour lui, LTC doit permettre à des familles de vivre dignement (de) leur travail. Elle doit aussi faire perdurer le savoir-faire ancestral du tissage qui remonte du XVIème à Charlieu.
Dignité humaine, valeur et fierté de son travail cela se traduit par des décisions très concrètes qui sont mises en place au fur à mesure.Dès 2007, Les Tissages de Charlieu se sont engagés dans une dynamique de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) en achetant du coton bio certifié.
En parallèle, l’entreprise a fait des choix stratégiques majeurs centrés sur l’humain :
- Le taux de formation des salariés est plus élevé (1,5 fois) que le taux légal.
- Le taux d’emploi de travailleurs avec une RQTH (Reconnaissance de Qualité de Travailleur Handicapé) est deux fois plus important que l’objectif fixé par la loi (12% vs 6%).
- Des possibilités de télétravail existent depuis longtemps
- 25 % du résultat net avant impôt de l’entreprise est distribué à tous les salariés sous forme d’intéressement, deux fois par an.
Puis, il y a trois ans, Eric BOEL, inspiré par la lecture du livre d’Isaac GETZ et Brian CARNEY, « Liberté&Cie », prend conscience qu’il peut aller encore plus loin et s’engage dans une démarche de « libération » de son entreprise.
Qui dit Entreprise libérée dit démarche « chemin faisant », dit processus qui avance pas à pas et qui est fait d’actions, d’erreurs et de réajustements permanents. Parmi les moments-clés de cette démarche, nous pouvons citer :
- la co-élaboration de la vision de l’entreprise avec l’ensemble des salariés pour partager le sens de l’effort et l’engagement collectif. Démarche par groupes de travail sur un mois de temps et accompagnée par des consultants
- la formation en Communication Efficace Thomas GORDON de tous les salariés. L’objectif étant de permettre à tous d’avoir des outils relationnels pour gagner en autonomie et en qualité dans la gestion de leur collaboration et de leurs conflits,
- la création de groupes de travail avec un leader volontaire qui change selon la teneur des projets. Par exemple : groupe de travail pour imaginer l’entreprise de demain ou pour la réorganisation et l’optimisation de l’usine.
- la facilitation des projets intra entrepreneuriat :
- la marque « Létol », une ligne d’étoles, de chèches et d’écharpes en coton bio
- la ligne « Tonnerre de Belt » : ceintures colorées en tissu jacquard conçues à partir des chutes non exploitées
- la ligne de sac « BIS Repetissac » à partir de fibres recyclées pour répondre à la disparition des sacs plastiques.
Ces trois marques nouvelles sont nées dans l’esprit des salariés qui ont pu exprimer leur sensibilité sociale et sociétale : l’une est sensible au gâchis, l’autre au respect de l’environnement etc. Les marques sont gérées par ces salariés volontaires ayant l’envie d’explorer de nouveaux horizons tout en s’inscrivant dans la Vision de l’entreprise.
Aujourd’hui un salarié LTC peut dire pourquoi il se lève le matin et ce à quoi il contribue au quotidien. En effet, les équipes ont défini ainsi la vision de l’entreprise :
« Ensemble, et avec nos clients, épanouissons nous dans la confiance, la bonne humeur et l’audace, pour perpétuer et développer nos savoir-faire textiles avec créativité, réactivité et compétitivité »
C’est un projet d’entreprise et de « vivre-ensemble », qu’une salariée a résumé en un slogan immédiatement adopté : « Tissons ensemble de jolis liens. »
Porter ce témoignage très concret de la façon dont un dirigeant et son équipe inventent leur entreprise nous permet de démontrer qu’une démarche de type « entreprise libérée » apporte des résultats tangibles et n’est pas uniquement un effet de mode.
Dans notre activité des consultantes, nous rencontrons de plus en plus de dirigeants qui se questionnent sur la manière de (ré)engager les salariés dans leur travail et sur la pertinence d’une telle démarche.
De fait, le sujet de l’entreprise libérée est un débat qui ne laisse personne indifférent. Les différentes réactions que nous avons pu recueillir tant auprès de salariés, que de patrons ou de consultants le prouvent. Voici quelques verbatims qui en disent long sur le sujet …
- « Ce serait bien si c’était vrai »,
- « C’est la voie de la responsabilisation »
- « C’est un leurre utilisé par les patrons d’entreprises pour surcharger encore plus leur salarié »
- « Info ou intox ? »
- « Ça tient tellement aux valeur du patron »
- « Et si c’était possible ?…. C’est un rêve»
- « Le monde change, les entreprises n’ont pas le choix : elles vont devoir changer car les salariés n’en peuvent plus. Cette option de l’entreprise libérée est t’elle la bonne réponse ? »
- « C’est un effet de mode »
- « J’ai envie d’y croire ! »
- « Entreprise libérée = liberté d’expression ? »
- « C’est de l’agilité pas à pas »
- « C’est l’avenir de l’homme »
- « C’est une imposture ! »
- « C’est une posture…. »
- « Ce ne sont pas forcément les patrons qui ne sont pas prêts : est ce que les salariés assumeraient l’autonomie et la responsabilisation qu’on leur propose ? »
- « C’est la preuve de la maturité de l’entreprise »
- « Le poisson pourrit toujours par la tête »…
Pour ce qui nous concerne, nous avons développé la conviction que c’est l’authenticité de l’état d’esprit du dirigeant qui fait toute la différence. Bien plus que l’accompagnement qui sera mis en oeuvre, bien plus que la qualité des conseils et la pertinence des décisions prises, ce sera la congruence du leader qui sera déterminante.
Si en tant que dirigeant, vous souhaitez faire évoluer votre entreprise vers une « libération », nous vous invitons à vous questionner sur ces points clés :
- Quelle est la raison d’être d’une entreprise pour moi ?
- Quelle est ma vision pour mon entreprise, pas seulement en terme de développement mais également en terme de contribution à la société, au bien commun ?
- Quelle est ma vision du rôle de l’être humain dans mon entreprise ?
- Jusqu’où je suis prêt à faire confiance ?
- Jusqu’où je suis prêt à lâcher du pouvoir pour le partager ?
Merci de nous avoir lues jusqu’au bout. Nous serons ravies de continuer ce débat avec vous
Alexia Dumonceau et Daniela Cordier